Entrepreneure, chef d’entreprise depuis plus de 20 ans, expert-comptable depuis encore plus longtemps, j’ai vu, avec le temps, s’empiler les réformes, les complexités, les obligations sur les épaules des chefs d’entreprises. Oui, je sais , ce n’est pas bien de taper du poing sur la table, mais les dernières mesures concernant les entreprises commencent à irriter ma patience. Alors maintenant, je dis qu’un peu de stabilité ce serait chouette pour sortir de la crise…
Je vois s’accentuer des complexités dont je ne comprends plus le sens et qui m’inquiètent. Je vois des chefs d’entreprises épuisés, au bord de l’explosion, en larmes, en questionnements permanents, inquiets et même des entrepreneurs en grève ! Je vois des entreprises exsangues qui ne savent plus du tout dans quel environnement elles opèrent. Je vois des entrepreneurs qui n’arrivent pas à communiquer avec certains organismes publics (oui, je parle de RSI…). Je vois des entrepreneurs qui naviguent à vue dans une tempête économique d’une ampleur rare …
Depuis quelques années j’observe aussi de plus en plus d’allers-retours législatifs qui deviennent coutumiers : combien de lois de finances a-t-on maintenant par année ? quid du principe de la non rétroactivité des lois (de finances) qu’on m’avait soigneusement appris sur les bancs de la faculté ? Je vous parle du régime des heures supplémentaires de vos salariés ? Oui, la liste est longue…
Certes, je suis persuadée que nous vivons une révolution sociétale, quelque chose de profond qui va pour moi bien au-delà d’une crise économique. Mais bon sang ! Ne peut-on pas avoir un peu pitié de ces entrepreneurs qui génèrent la richesse et les emplois de notre pays ? ne peut-on pas les laisser souffler un peu ? ne peut-on pas leur donner un peu de stabilité législative pour qu’ils puissent refaire leur métier de créateur de valeur, plutôt que celui de gratte-papiers-remplisseurs de formulaires administratifs ? ne peut-on pas les laisser se poser, prendre du recul pour innover et trouver les solutions de demain, les solutions de développement durable de nos entreprises ?
En toute franchise, je ne peux que réagir lorsque je vois qu’on rétablit une prime de 1000€ par apprenti embauché, prime instituée puis supprimée il y a un an environ. OK, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, mais d’abord, est-ce que cette prime peut vraiment faire la différence pour la décision d’embauche d’un apprenti supplémentaire ? si oui, alors la situation n’est pas grave, elle est dramatique : aucun entrepreneur censé ne se laisse berner par une mesurette de surfaçage de ce genre.
Je bondis aussi lorsqu’on m’explique qu’on commence à être senior (pour ne pas dire vieux ou obsolète) en termes d’emploi, à 45 ans. Je mets cela en rapport avec un nième plan d’aide à l’emploi des seniors qui vient de sortir. Mais quel sens cela a-t-il ? Les plus de 45 ans sont justement des leviers de forte valeur ajoutée dans l’entreprise. Non ! On n’est pas totalement « amorti » à 45 ou 50 ans. Oui, on a encore beaucoup de choses à apporter, même si on doit en apprendre des jeunes qui nous poussent et c’est bien ainsi. Et oui, c’est parce que nous sommes riches de notre expérience, que nous avons un prix : le salaire de la maturité, de la stabilité, de la sagesse…
Oui, je dois devenir un peu parano, lorsque je vois qu’on réforme la formation professionnelle en expliquant aux entrepreneurs qu’ils vont payer moins d’impôt. On oublie juste de préciser qu’ils vont payer moins, mais qu’il devient beaucoup plus compliqué de mutualiser les coûts de leur obligations en matière de formation de leurs salariés, qui elles ne diminuent pas. Pire, ils vont devoir mettre en place et formaliser des entretiens spécifiques, là où il n’y en avait pas forcément avant et il leur faudra en plus répondre de leurs obligations de formation dans la perspective du maintien de l’employabilité de leurs salariés. Je n’ose pas imaginer les risques de conflits à venir lors des démissions ou des licenciements. Allez! sans boule de cristal, je peux prédire un engorgement significatif des tribunaux de prud’hommes. Et je ne sais peut-être plus bien compter, la sénilité me guette, mais je pense que l’addition va être lourde.
Et puis, Oui ! Je mets cela en perspective avec le fait que certains points de cette réforme sont applicables dans moins de 6 mois et que la plupart des décrets d’application sont encore… à paraître ! Mais comment peut-on gérer intelligemment une entreprise quand on n’a pas de lisibilité à 6 mois ? Je suis inquiète parce que je vois ce genre de pratiques se généraliser depuis une dizaine d’années. La première fois dont je me souvienne, c’était pour la réforme de la comptabilisation des actifs : une réforme comptable en profondeur, avec des impacts potentiellement signifiants sur les capitaux propres des entreprises (y compris des PME). Et oui, on a eu le 30 ou le 31 décembre 2005, une instruction administrative qui nous expliquait le traitement fiscal pour les comptes de 2005 ! En gros, on a su en fin d’année comment les entreprises allaient être fiscalement traitées pour les opérations écoulées depuis une année entière !
Je vous fais grâce des tracasseries administratives liées à la législation sur l’eau potable pour un écolodge de forêt guyanaise. En gros et pour faire simple, l’eau la plus pure que l’on puisse trouver dans une rivière, rivière non habitée en amont, avec un débit … amazonien… et bien, cette eau doit être désinfectée au chlore partout sauf dans les toilettes mais y compris dans les douches… c’est vrai c’est commun de boire de l’eau directement sous sa douche…
Donc oui, je suis en train de m’alarmer. Oui, je ne sais pas comment les chefs d’entreprise arrivent encore à faire leur vrai métier? Vous savez leur métier de créateur de valeur ? enfin, plutôt j’observe qu’ils n’arrivent plus à faire leur vrai job : prendre du recul, se mettre en perspective, définir une stratégie, s’occuper de leur salariés …innover, conquérir des marchés, créer la richesse de notre pays… Mais, j’avoue, je ne dois voir que les plus mauvais… et puis je n’ai pas d’outils statistiques performants, moi !
Alors oui, aujourd’hui je n’arrive plus à me taire devant ce gâchis. Alors, oui, j’ai envie de proposer aux décideurs de ce pays de venir se confronter à notre réalité quotidienne : trouver des clients, les satisfaire avec de bons produits, gérer des hommes pour qu’ils soient heureux de travailler et créer de la richesse… Oui, je les invite à venir passer chacun 6 mois dans nos entreprises pour comprendre, juste comprendre… je n’ai même pas parlé d’apprendre les meilleures pratiques des chefs d’entreprise pour les réintégrer ensuite dans la gestion de notre pays…
Pascale Bégat, entrepreneure inquiète.